Pourquoi la fin de la dépendance des canetons a-t-elle lieu avant qu’ils soient capables de voler ?

Publié le 24 juin 2015

L’investissement des parents dans les soins prodigués à leur progéniture constitue un coût pour leur propre survie mais un avantage pour celle de leur descendance. Chez les espèces nidicoles (tels que les passereaux, les corvidés, les rapaces, …) l’attention parentale peut se poursuivre après que les jeunes soient physiologiquement aptes au vol mais encore incapables d’obtenir toute leur nourriture par eux-mêmes (les parents devant encore les aider).

Nichée dans Canal REDUIT ISNEAA l’inverse chez les espèces nidifuges, il en est tout autrement. Les derniers travaux menés sur la question chez des espèces appartenant aux canards, montrent en effet que la cane, qui assure seule la protection des jeunes, cesse de montrer toute attention parentale lorsque la progéniture est loin d’être capable de voler (3 semaines avant l’envol chez le canard colvert, 2 semaines avant l’envol chez le fuligule morillon). Cette décroissance et la rupture du lien parental sont directement associées à l’effet d’une hormone (la prolactine) dont la sécrétion est en partie sous l’influence de la photopériode (durée du jour/durée de la nuit) mais qui semble également être contrôlée par des facteurs plus directs, tels que la croissance et la morphologie des canetons. En effet, la cane se désintéresse de sa progéniture, voire entre en compétition avec elle, lorsque les jeunes ont une taille et une morphologie similaires à la sienne, ce qui survient lorsque les canetons atteignent par exemple 6 semaines révolus chez le colvert.

Les scientifiques ont ensuite conduit des études complémentaires pour savoir si cet arrêt des soins parentaux, avant l’émancipation et l’aptitude au vol des jeunes, affecte leur capacité de survie. Ce travail complémentaire, basé sur le suivi télémétrique de plusieurs dizaines de canetons évoluant dans des conditions naturelles, a permis de démontrer que la présence de la cane assure un bénéfice significatif pour la survie durant les 3-4 premières semaines après l’éclosion mais que ce bénéfice disparaît avant que le comportement d’attention parentale cesse définitivement. La conclusion est donc que la rupture du lien parental a évolué de manière adaptative en étant postérieur à la capacité intrinsèque des jeunes à assurer leur propre survie jusqu’à l’envol et après. L’avantage pour la cane en termes de survie est évident, notamment car cela lui permet d’allouer plus de temps pour répondre à ses propres besoins biologiques en n’étant pas contrainte d’attendre que sa descendance atteigne le stade d’envol (9-10 semaines chez le colvert, 7 semaines chez le fuligule morillon). Ainsi chez les canards, si la femelle devait disparaitre (déplacements, mortalité …) de sa nichée après que celle-ci ait atteint 4 semaines d’âge après l’éclosion, l’impact peut être considéré comme nul sur le succès reproducteur comparé à des nichées où la cane serait encore présente mais où elle n’aurait plus de rôle parental à jouer. Ces nouvelles données basées sur une approche de biologie évolutive permettent de réviser, pour certaines espèces, les idées anciennes qui proposaient que la fin de la dépendance était impérativement liée à la capacité de vol des jeunes.

En termes de gestion des habitats et des espèces (modulation de la pression de prédation par exemple), les retombées de ces résultats sont très importantes notamment pour mieux programmer certaines activités humaines dans les zones de reproduction.  Enfin, en termes de biologie de la conservation et pour mieux cerner la période de reproduction, il est préférable de déterminer la chronologie des éclosions plutôt que celle des envols. Le suivi de la reproduction conduit par les services techniques des départements affiliés à l’ISNEA est basé sur ce principe.photo nichée colvert

Références.

Boos, M., Zimmer, C., Carriere, A., Robin, J. P., & Petit, O. (2007). Post-hatching parental care behaviour and hormonal status in a precocial bird.Behavioural processes76(3), 206-214.

Boos, M., Auroy, F., Zimmer, C., Liukkonen, T., Poulin, N., Petit, O., & Robin, J. P. (2010). Brood Desertion in Ducks: The Ecological Significance of Parental Care for Offspring Survival. Wildlife Biology in Practice6(2), 96-107.

Gendron, M., & Clark, R. G. (2000). Factors affecting brood abandonment in gadwalls (Anas strepera). Canadian Journal of Zoology78(2), 327-331.

Székely, T., Webb, J. N., Houston, A. I., & McNamara, J. M. (1996). An evolutionary approach to offspring desertion in birds. In Current ornithology (pp. 271-330). Springer US.

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